Octobre à Paris (suite)

L’histoire de la France et de l’Algérie ne s’est pas arrêtée le 1°juillet 62 avec l’indépendance de l’Algérie. Dans les années 70, il y aura le regroupement familial qui permettra à des centaines de milliers de femmes et d’enfants de rejoindre en France les maris et pères travailleurs immigrés. Il y aura l’arabisation de l’Algérie voulue par le Pouvoir issu du FLN, il y aura encore la meurtrière lutte pour le pouvoir des années  80-90 entre les fondamentalistes musulmans et l’Armée.

 

Dans Lettres d’Algérie, un des reportages du coffret Reporters de guerrePrix Albert Londres, Rachida, témoigne à visage découvert. On est en 93-94,  pour la journaliste Florence Dauchez, elle tient un carnet de sa vie quotidienne à Alger, lui envoie des lettres : il est indécis l’avenir de mon pays. J’ai même souhaité qu’il y ait un très fort tremblement de terre, comme cela les gens vont devoir s’occuper d’eux-mêmes. Ils ne vont plus s’entretuer. Ils vont se mettre la main dans la main pour sauver des vies humaines« . J’aime le beau regard de Rachida lorsqu’elle regarde cette vie, ses enfants, ses difficultés. Elle est lumineuse. Des photos la montrent jeune femme, mariée à 14 ans. Aujourd’hui, divorcée avec 7 enfants, elle plaide pour la liberté, pour la femme si contrainte, si reléguée, dans la société algérienne. Florence Dauchez parcourt avec elle les cités d’Alger: avoir 20 ans dans les cités, c’est presque toujours vivre dans la misère, la promiscuité, dans l’ennui. Pas de travail, la vie qui s’arrête, pas de logement, pas de mariage.

 Qu’a fait l’Algérie de ses richesses et de ses éspèrances des années 60? Le grenier à blé du Maghreb  des années 50 doit importer aujourd’hui sa nourriture, la manne pétrolière du Sahara se dissout dans les méandres d’un pouvoir corrompu et d’une organisation incompétente. La jeunesse algérienne sans travail rêve de la France ou elle imagine trouver une vie meilleure. Dans un film-document saisissant, La Chine est encore loin, le réalisateur d’origine algérienne Malek Bensmail, nous peint cette Algérie désoeuvrée et désespérée. Il faut absolument voir ce documentaire, lire aussi l’interview donnée dans Next Libération en vous connectant sur Next à travers le lien proposé plus haut sur La Chine est encore loin.

27 septembre 2012, « M » Le Monde titre « Vie et mort d’enfants de Marseille« . Trois réussites de l’immigration témoignent. Eux s’en sont sortis. Miloud Hamidi est ingénieur. Son fils Benamar a été tué le 25 août. Enfant perdu, entrainé dans la drogue, le vol, les violences. Tué de quatre balles dans un réglement de comptes. Pourquoi se demande son père? Il n’a pas de réponse, il voudrait que l’on nettoie les cités de Marseille de la drogue. Il y a encore Nora Redmania-Preziosi, une réussite politique, conseillère régionale UMP, membre du Haut-conseil de l’intégration. Son neveu Ilias est abattu au volant d’une Audi A3. Même désarroi. Pourquoi est-il devenu un voyou, voleur de voitures, dealer probablement. Il y a encore Hakim Iklef, avocat, frère de Hamid, tué le 14 février 2010. Pourquoi ? mêmes questions, même absence de réponse. Nous restons interloqués et profondément inquiets devant ces témoignages. Ils nous parlent d’un drame humain, mais aussi d’une menace.

Nous sentons bien que la réponse est sur les deux rives de la Méditérannée. Avec ce mal-être, ces tiraillements entre les histoires et les cultures. La pauvreté n’explique pas tout, l’origine non plus. Les réussites de Hakim, Nora et Miloud et de tant d’autres montrent qu’il n’y a pas de fatalité. L’avenir des deux pays ne se joue-t-il pas là, face à ces vies de 20 ans arrêtées dans les cités de Marseille et d’Alger ?

 

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