6 juin 1944.

Ça s’appelle Education européenne…dans un blog précédent, j’évoquais le roman de Romain Gary écrit en 1943, en pleine tourmente de la guerre. Romain Gary y raconte la vie d’un groupe de partisans cachés dans la forêt polonaise. Etudiants, paysans, ouvriers, communistes, royalistes, libéraux, mourants de faim et de froids, au plus épais de l’hiver, et vivants quand même, faisant le coup de feu contre les allemands. A ce moment de leur épopée, ils espèrent la victoire de l’Armée rouge à Stalingrad. Et rêvent d’une Europe nouvelle, celle d’ après la Victoire. Leur tanière est pleine de livres. Entre deux coups de mains, ils imaginent, pensent, parlent : – tu aimes les russes, toi ? -j’aime tous les peuples, dit Dobranski, mais je n’aime aucune nation. Je suis patriote, je ne suis pas nationaliste. -quelle est la différence ? -le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres. Les Russes, les Américains, tout ça…il y a une grande fraternité qui se prépare dans le monde, les allemands nous auront au moins valu ça…   L’étudiant en droit polonais, Dobranski, ignore que trois ans auparavant, dans la forêt de Katyn, quatre mille officiers polonais ont été massacrés par la police secrète de Staline, que bientôt le rideau de fer s’abattra sur son pays, que Stasi, NKVD signifieront pour des millions d’hommes le goulag et la mort.

Cette Europe à laquelle il aspire, pour laquelle il meurt, se réalise-t-elle aujourd’hui ? Les Pères fondateurs l’ont voulu pour que les peuples européens ne se fassent plus la guerre. Plus jamais ça, la der des der, disaient les rescapés de 14/18 ; Plus jamais ça, répétaient les hommes de la réconciliation franco-allemande, Charles de Gaulle, Konrad Adenauer, et quelques autres visionnaires. Ecoutons encore les jeunes résistants d’Education européenne :   –Ça s’appelle Education européenne. C’est Tadek Chmura qui m’a donné ce titre. Il lui donnait évidement un sens ironique…(…) -l’Europe a toujours eu les plus belles Universités du monde. C’est là que sont nées nos plus belles idées, celles qui ont inspiré nos plus grandes œuvres : les notions de liberté, de dignité humaine, de fraternité. Les Universités européennes ont été le berceau de la civilisation. Mais il y a aussi une autre éducation européenne, celle que nous recevons en ce moment : les pelotons d’exécution, l’esclavage, la torture, le viol- la destruction de tout ce qui rend la vie belle. C’est l’heure des ténèbres. -elle passera, dit Dobranski.

Alors que l’on célèbre le centenaire de la naissance de Romain Gary, né Romain Kacev à Vilnius en 1914, voilà des pages à relire. Cosaque un peu tartare mâtiné de juif, comme il aimait à se décrire, Gary savait pourquoi il désirait l’Europe. Un rêve fou. D’amour pour l’Europe. Cette Europe dont nous rêvons toujours, celle d’une humanité, d’une culture, d’une fraternité. Cette Europe idéalisée qui se heurte aux violentes contingences humaines : la guerre économique n’est-elle pas une guerre qui ne dit pas son nom ? Les hommes ne meurent pas dans les tranchées et les maquis. Ils meurent dans des zones désaffectées, les villes et les industries asséchées, des régions entières appauvries, sans espoirs.   Les pays européens revivent l’affrontement de leurs différences. La dure loi de la finance impose ses choix. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Il y a encore la loi du vainqueur. Ceux qui se sentent vaincus rejettent l’Europe du vainqueur.

Le Compagnon de la Libération Romain Gary doit se retourner dans sa tombe devant un tel contre-sens, un contre-sens mortel. Charles de Gaulle ne voulait pas d’une Europe supranationale, mais d’une Europe des Etats et des peuples,  jusqu’à ce que les peuples européens, si différents, se soient suffisamment rapprochés pour mettre plus de politique entre eux, et cela sans rien perdre de la grandeur de chacun. Ne rien diminuer. Il faudra très longtemps pour y arriver, disait-il, et encore ne parlait-il que des 6 pays des origines. Le père fondateur Jean Monnet voulait une Europe économique, libérale proche de l’Amérique, très vite dirigée par une Europe politique. Il y voyait une volonté et une force communes. Le père fondateur Robert Schuman voulait une Europe humaniste d’inspiration sociale chrétienne.  De quelle Europe voulons-nous ?

6 juin 1944- 6 juin 2014. nous commémorons aussi cette Europe!

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