De Timbuktu à Les chèvres de ma mère, les Césars font leur marché

Qu’y a-t-il de commun entre Timbuktu et Les chèvres de ma mère ? Non pas le dépouillement de l’un, documentaire du réel, et l’apparente simplicité de l’autre. Voilà deux situations qui touchent aux racines arides de la terre. Ici sur le plateau du Verdon, aux limites du Var et de la Haute-Provence, paysage de pierres blanches, désolé par le vent en rafales et un soleil trop cru, une femme veut prendre sa retraite. Pour « liquider » celle-ci, la règle administrative la contraint à vendre sa terre et son élevage de chèvres. Plus de 40 années d’un attachement fou d’une post-soixante huitarde étonnante pour ses chèvres, pour cette terre, sont balayées par une règle inhumaine, que l’on peut imaginer concoctée par des technocrates bruxellois ou parisiens.

La caméra qui suit cette vie qui se défait est tenue par sa fille, Sophie Audier. Notre étonnement va de la force de l’éleveuse, de la vérité simple qu’elle transmet: le fromage que je fais est unique, comme celui de mes prédécesseurs, parce qu’il vient de mon envie, à la bêtise aveugle de notre société orgueilleuse. La norme s’impose pour que le fromage se répète à l’identique. Mais ce film simple, cru, poétique sans le revendiquer, nous en apprend tellement sur notre dépossession. Nous vivons hors-sol, provisoirement gouvernés par l’ignorance technocratique. Celle à qui elle veut transmettre, puisqu’il en faut une, se heurtera à à des commissions multiples aux noms barbares, sigles absurdes qui s’accumulent. Et qui à la fin de la réalisation de ce film, n’a pu reprendre la ferme, faute des autorisations nécessaires.

Enfin à quelques semaines de son départ, l’éleveuse apprend du conseiller retraite de la mutualité sociale agricole le montant de celle-ci : à peine 600 euros brut mensuel. Mais lui explique-t-il, si elle retarde de quelques mois ce départ, elle aura 40 euros de plus par mois. Et l’éleveuse retarde, malgré sa fatigue et son chagrin… 40 euros de plus, cela compte quand on n’a que 600 euros pour vivre.

Tombouctou, aux confins du Sahel, ville mythique, prise par les djihadistes en 2012, inspire le film Timbuktu, au réalisateur africain Abderrahmane Sissako. L’aveuglement et la stupidité règnent aussi ici. La violence est celle de la charia, impitoyable loi religieuse qui interdit la musique, impose voile et gants aux femmes, lapide le couple adultère, décapite le meurtrier qui ne peut racheter son meurtre par quarante vaches qu’il ne possède pas. Ici chacun se soumet à son destin puisqu’il est celui voulu par Allah, et que tout ce que qui est fait vient d’Allah. Y compris la mort qui arrive et vous prive de ceux que vous aimez.

Beauté des scènes, des visages, des paysages. Le sable jaune et or remplace les pierres et la sécheresse du Verdon. La folie religieuse tue puisque cela vient d’en haut. Le message est simple. Plus l’homme est bête, plus il est dangereux. Plus l’homme veut du pouvoir, plus il ment. Timbuktu, 8 nominations aux Césars, est un film d’une rare puissance.

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.