lettre au Grand calife (2)

Cher Grand calife, voici quelques jours que vous êtes revenu de votre expédition à Prémery. Aucun écho de celle-ci dans la Ville. Il ne faut pas que cela se sache. Je sais que vous rongez votre frein. Vos conseiller, surtout le chef du Palais, habillé de gris, gris lui-même, vous mène la vie dure. Il vous abreuve de paroles, de dossiers, de conseils comme toujours. Son langage, qui était le vôtre jusqu’à Prémery, vous gêne jusqu’à l’écœurement. mais de quoi parle-t-il ? Oui, vous ne vous comprenez plus, mais il ne le sait pas. Vous vous sentez encerclé, par vos conseillers, peut-être plus que par les français des ronds-point. Un nouveau terme a surgi: les oubliés. 

C’est un de ceux-la qui se le donnait ce matin, en face du Palais. Vos conseillers vous avaient conseillé de ne pas le recevoir. Sur l’écran, l’homme vous avez paru raisonnable, clair, enfin clair. Il parlait de leurs vies, les oubliés, les mots lui allaient droit au cœur.  Nous sommes pacifiques, nous voulons plus de justice, de dignité. Grand calife, vous sentiez la peur vous gagner, vous qui aviez tout réussi jusqu’alors. Les pacifiques étaient débordés par la colère des autres. Leurs violences entouraient le Palais.

S’échapper, sortir, rencontrer ces hommes et ces femmes! Silhouette furtive, vous sortiez par la porte dérobée. Déguisé, personne ne pouvait vous reconnaître. Vous longiez les boutiques de luxe, les vitrines pleines d’or et d’étoffes, les cuirs sans prix de la plus belle et la plus chère. La Belle Marque réservée aux plus riches, aux gens de goût encore. Vous même l’aimiez beaucoup. Vous marchiez maintenant avec étonnement parmi les odeurs de la richesse. Vous connaissiez ces parfums, ces silhouettes qui descendent sans rien regarder autour d’elles pour s’engouffrer dans les magasins,  saluées très respectueusement par les vigiles. La richesse, le luxe, la morgue, une forme d’obséquiosité, tout va ensemble, trop ensemble. Absence de regard sur l’autre. Du grand vers le petit, du petit vers le grand. Pour la première fois, vous sentiez cela.

Vous continuiez, sortez de ce quartier du Palais, abordiez des lieux plus mélangés, mélange de vies ; des gens vous heurtent sans s’excuser, vous êtes anonyme; là tout le monde est anonyme. Des rues de bureaux, de commerces; devant vous une femme entre vivement dans un magasin d’une chaîne d’alimentation. Faire ses courses, il y a si longtemps que cela ne vous est pas arrivé ! vous n’avez rien à acheter, dommage ! Cela vous manque. Devant vous la femme-cliente, aperçue tout à l’heure, s’adresse à la caissière : c’est nouveau, les 4 caisses automatiques! la caissière la regarde. vous entendez sa réponse, un son sourd : elles me font peur,  elle répète encore : j’ai peur. La cliente, veut la rassurer : je continuerai à venir à votre caisse, à parler avec vous. Il n’y a plus d’anonymat, que de l’amitié. Vous aimez cela.

Vous avez tout compris, grand calife: les caisses automatiques sont en train de remplacer les caissières, partout les robots remplacent les humains.

Mais avant les hyper et supermarchés, et les caissières qui vont avec, celle qui est là devant vous, il y avait les petits commerces de centre-ville. Grand calife, décidément rien n’est simple! Je n’aimerais pas être à vôtre place.

 

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