Le cercle des paysans disparus

Je les aime ces paysans disparus qui réapparaissent dans ce reportage du magazine M le Monde du 25 février dernier. Jean-Luc Desplats, fils d’exploitants agricoles -retenez bien ce terme, il faut maintenant l’opposer à paysan, l’un exploite la terre, l’autre l’entretient- après les 30 ans d’agriculture intensive pratiquée par ses parents, sur les 50 hectares dont il a hérité, il replante, soigne, nourrit une terre: « la nature reprend ses droits, c’est magnifique » dit-il. Il fait pousser des variétés anciennes de froment – le bon pain, j’en salive rien qu’en l’écrivant- du trèfle, des tournesols sans aucun intrants- engrais chimiques- il explique :  » à l’époque de mes parents, les produits chimiques c’était magique; on n’avait aucune idée des contreparties néfastes« . Dans le reportage de Camille Labro, avec les photos superbes de Antoine Agoujian, d’autres paysans du renouveau de la terre: Xavier Mathias qui aujourd’hui, sur deux hectares d’une terre saccagée hier par les années chimiques, cultive en bio des centaines de variétés, légumes étranges qui proviennent de semences ne figurant pas au catalogue officiel, qu’il déniche chez Kokopelli- pour mieux comprendre revoyez Solutions locales pour un désordre global- : ail rocambole, hélianthes, pois de coeur, haricots ying yang, poires de terre, entre autres.

L’arche de Noë des produits de la terre!

« Je suis un paysan heureux même si c’est un énorme travail. Je peux répondre aux quatre questions: qui suis-je? Ou vais-je? Pourquoi et comment j’y vais? » Un autre paysan, puis un autre qui nous apprend que cette agriculture de maraîchage coûte beaucoup moins chère que l’agriculture conventionnelle, qu’elle nourrit mieux et plus que celle-ci. Sur deux hectares, deux paysans fournissent chaque semaine dans le réseau des AMAP ( association pour le maintien de l’agriculture paysanne) 90 paniers de légumes à des familles environnantes!  Nous sommes bien loin d’un système officiel qui crée des agriculteurs subventionnés, dépendants des produits chimiques, et des engrais.

Que d’idées reçues mises à bas dans ces portraits de paysans heureux. Fatigués- la terre est exigeante et toujours basse- mais heureux. « Une micro-agriculture manuelle intensive, de haute qualité environnementale, peut devenir une vraie solution alternative et générer un emploi par hectare, voire plus » . Contre 3 personnes pour 100 hectares dans l’agriculture conventionnelle.

Mais le même jour- Salon de l’agriculture oblige- l’éditorialiste des Echos, Nicolas Barré, nous alerte: la France joue sa place dans les grandes nations agricoles. La faute au coût du travail dans  l’industrie agroalimentaire française, 30% plus cher que le coût de la main-d’oeuvre en Allemagne. Modernisation, concentration, croissance, excédants des échanges, positions sur les marchés étrangers, écoulement dans la grande distribution. Je lis les mots de cet article en pensant aux paysans rencontrés dans l’article du Monde. Je me rappelle les justifications de l’agriculture intensive « on nourrira le monde en augmentant la production grâce aux engrais et aux pesticides« ,  je pense au coût gigantesque de la Politique Agricole Commune, la fameuse PAC,  aux dégâts environnementaux qu’il faudra payer un jour. Je pense à ces milliards de gens toujours affamés, et même de plus en plus affamés. En Inde, en Afrique, arrachés à leur terre, réfugiés dans les bidonvilles des mégapoles, incapables de payer ce qui les faisait vivre au fond avant qu’on ait décidé de ce qui les rendrait un jour heureux.

Une étrange place que défend cet éditorial qui ne se pose aucune question autre. L’article du M magazine le Monde, l’éditorial des Echos, deux mondes opposés qui se côtoient le même jour!

Je me suis dit que nous avions besoin là aussi de monter sur la table pour changer de position, pour avoir un nouveau regard sur le monde, pour voir autrement –We feed the World-. Que les paysans « disparus » pendant cinquante ans, et retrouvés aujourd’hui, nous donnent encore une formidable leçon d’optimisme!

 

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