El Sicario chambre 164, un film de Gianfranco Rosi

  • Après un sous titre: « à la frontière américano-mexicaine« , le premier plan. La ville vue d’en haut, au coeur de l’image, petits comme des jouets,  des buildings, un monument en T inversé. Sur des autoroutes urbaines, le flux habituel des automobiles bruyantes et malodorantes. Sous le soleil, la chaleur que l’on devine, une agglomération banale. Le deuxième plan tout aussi banal, une plaque sur une porte: 164, puis la chambre, vaste, presque luxueuse, des meubles en bois vernis, un immense lit avec ses quatre oreillers blancs sagement rangés. Enfin on aperçoit la salle de bains, avant d’y pénétrer pour trouver le confort désuet du motel américain de la frontière.

Des mains s’emparent d’un tissu noir, une sorte de bas, ample. La silhouette, massive, au visage invisible, enfile le bas après avoir constaté sa finesse et son opacité. La confession peut commencer. Anonyme pour qui? Nous? La police? Le cartel des narco-trafiquants.

« Je me souviens qu’on nous a envoyé du Mexique aux Etats-Unis, un collègue et moi, avec pour mission d’enlever quelqu’un. De le séquestrer. Nous sommes venus dans ce motel, dans cette chambre. Il est resté là trois jours pendant lesquels on l’a torturé, jusqu’à ce que le chef nous téléphone pour nous dire de le livrer. »

La confession d’El Sicario est odieuse, indispensable aussi pour comprendre la violence et les dangers des cartels de la drogue. Les narco-trafiquants pourissent tout et tous, achètent, effraient, et quand ils n’arrivent pas à obtenir, tuent. ou plutôt font tuer. Par El Sicario et ses « collègues ». El Sicario, torture, tue, lorsqu’il ne tue pas, livre un homme, une femme. Qui sera le plus souvent executé. Sans remords. Des centaines d’assassinats sur ses mains, par ses mains, celles que je revois encore aujourd’hui derrière le voile noir, des mains , des mains grosses et délicates, de tortionnaire, des mains qui ont aussi caressé un être chéri, enfant, femme.

La Colombie, les pays d’Amérique centrale, le Mexique, les Etats-Unis, mais aussi plus souterrainement, l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient, la tentaculaire pieuvre de la drogue mine nos jeunesses, introduit la peur au coeur de nos cités. El sicario est partout.

Dans un blog précédent, je faisais longuement référence à XXI, à son numéro du printemps, à deux articles sur Davos et sur les entreprises allemandes. Le même numéro publie un hallucinant reportage de Jonathan Littell sur Ciudad Juarez, ville frontière mexicaine face à El Paso, celle-ci au Texas. » Plus de soixante heures sans exécutions (…) aujourd’hui, Juarez est très tranquille. Ennuyeuse même.C’est plus l’époque pesante d’avant, quinze ou vingt morts par jour. Maintenant c’est trois, cinq, sept. «  Les commentaires des journalistes locaux sont optimistes. Il y aurait du mieux. En fait la misère nourrit le crime, le crime nourrit la misère, la drogue circule de haut en bas de cette misère.

Les patrons du narco-traffic même mettent leurs enfants à l’abri de l’autre coté de la frontière, aux Etats-Unis. Ciudad Juarez s’enfonce chaque jour un peu plus dans la violence comme une métaphore d’un monde en destruction, un monde sorti de l’humanité. Un enfer très ordinaire est le titre du reportage de Jonathan Littell. El sicario,room 164, un monstre très ordinaire?

 attention, disponible le 5 juin

 

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