Un village français

Loin des plages et des sentiers battus, le village est là, dans le fond du vallon. Avec l’angélus qui rythme trois fois par jour le temps qui s’écoule, avec dans le ciel uniformément bleu, l’avion et son moteur à hélices évidemment, qui vrombit avec des hauts et des bas, et pour cause, il est lui aussi d’un autre temps. Cela semble éternel, sorte de madeleine que Proust décrit avec autant d’affection que d’acidité. Le goût que nous avons des choses, celui du bonheur est là, qui disparaît et revient. Le dernier Philosophie Magazine est consacré justement au bonheur, celui que traite avec difficulté Shopenhauer, celui, dont dans un chaleureux face à face de leurs vies, Pierre Rahbi et Michel Onfray partagent. Sérénité montante ancrée aussi dans sa maison natale normande pour celui-ci, frugalité heureuse trouvée dans le travail ressourçant de la terre pour celui-là. Ni l’un ni l’autre n’appellent à la violence ou au désespoir, plus à la lucidité et à la simplicité. Tant mieux.

Mon village français, celui que je contemple et que j’aime, est un lieu de paradoxe. Il est beau, calme, mais traversé par la modernité, sa rue principale a perdu ses quelques petits commerces, primeurs, tabac-journaux-livres, boulangerie… au profit du supermarché excentré au bord de la route nationale. Celui-ci, agrandit ses dernières années, est devenu le centre de l’activité. Dans la rue principale désertée, les panneaux à vendre sur une demi-douzaine de vitrines témoignent de la violence du succès d’un seul au détriment de plusieurs. Inévitable, disent les habitants, il y a tout, c’est climatisé, c’est moins cher…et l’on sent chez quelques uns comme une pointe de culpabilité.

Nous l’avons bien cherché, certes, puisque c’est notre choix d’aller plutôt qu‘ici. Le plus malin l’a bien compris. Il est le succès, provisoire, du Progrès. Et mon village meurt dans son ancienne formule, familière, ou en parcourant deux cents mètres, on entrait et sortait trois, quatre fois, après avoir dit bonjour d’autant plus. N’est-il plus qu’une apparence, source de photos ou d’images d’Épinal- souvenez-vous de la photo de campagne en 1981 du candidat François Mitterrand!- ou parle-t-il toujours de ce à quoi nous aspirons, racines, origines. A cette même époque, un documentariste, aujourd’hui disparu et que j’affectionne, Jean-Claude Bringuier, avait réalisé une série, Des Paysans, que nous éditons depuis  près de vingt ans. Il filmait les paysans, nous disait, regardez-les bien,  ils sont en train de disparaître. L’un de ceux-là, se comparait avec tous les paysans du monde, travaillant pour se nourrir et pour nourrir.

Le même geste, beau, miraculeux, inventif, celui qui laboure, sème, récolte, aide la bête à mettre au monde, élève le petit sous la mère,  le voit grandir, et l’abat aussi sans pudeur extrême, pour que l’homme ait de quoi manger à sa faim. La grandeur du geste humain dans un monde encore artisanal. C’était il y a 35 ans, un siècle!

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