Quatre jours en mai.

Ce 8 mai 2014, dans le petit village du Sud-ouest où je passe les 4 jours d’un de ces « ponts » qui font de ce mois un gruyère dans la productivité française, j’écoute le maire lancer l’appel, un nom sur la plaque du Monument aux Morts, une réponse des vivants : « mort pour la France… ». 9 appels pour 14/18, dont trois frères, 3 pour 39/45. L’écharpe tricolore qui ceint l’édile, le drapeau qui s’incline, la solennité donne à ce moment toute sa force. Une trentaine d’habitants présents pour une centaine d’électeurs, un tout petit village de Dordogne se souvient. Une Marseillaise retentit sortant d’un appareil branché à une fenêtre de la mairie qui surplombe la cérémonie. La paix est là. L’émotion aussi. Le maire évoque la patrie défendue jusqu’à la mort, le nationalisme, source de tous les maux, comme l’a ainsi saisi Romain Gary dans l’Éducation européenne, écrit en 1943, publié en 1945, un des plus beaux livres sur la Résistance : le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme, la haine des autres.

Au verre qui suit devant la mairie, les conversations en viennent à l’Europe. Aux élections prochaines, au désir d’Europe, la fin des guerres meurtrières, la réconciliation franco-allemande, le désamour aussi, la technocratie bruxelloise, le sentiment de n’être ni entendu, ni protégé. Cela me paraissait irréel. Quel malentendu ! Les hommes qui travaillent ici, qui veulent simplement vivre en paix, élever leurs enfants, aimer leurs proches, savourer les bons moments, sachant que le malheur peut s’abattre à chaque instant, et que raison de plus. Nous évoquons, dans ce soleil chaud de mai, un disparu de l’hiver,  mort subite laissant une compagne désemparée, une succession douloureuse. Le maire, un des 36 000 maires de France, me raconte comment il a aidé l’une, calmé les autres. Voilà cette étonnante solidarité, ce service quasi bénévole d’un élu qui aime les autres. Il ne compte ni son temps, ni sa peine. Il en retire sûrement beaucoup. Nous aussi.

Mon vieil ami F. , 17 ans en 1940, résistant dès cet âge-là, arrêté, déporté en Allemagne, évadé deux fois, participe à la libération de Paris, finit la guerre en Allemagne dans la Première armée. Un parcours extraordinaire accompagné d’une rare modestie : ce sont les circonstances qui m’ont permis de faire autre chose que ce pourquoi j’étais destiné, boulanger comme mon père. Les circonstances et le patriotisme de mon père, ce boulanger de Belleville, amoureux de la France. Et F. me confie qu’il a pleuré 2 fois dans sa vie, la première en apprenant le débarquement des troupes alliées sur les plages de Normandie  le 6 juin 44. Puis 40 ans plus tard lorsque François Mitterrand, se saisit soudainement de la main de Helmut Kohl, alors que la Marseillaise retentit. C’était le 22 septembre 1984 devant le catafalque de l’ossuaire de Douaumont. Les deux hommes d’Etat commémoraient les morts de la Première guerre mondiale. Après la réconciliation franco-allemande lancée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, en 1958, le geste de François Mitterrand, cette main prise du Chancelier allemand– revoyez la photo- faisait le tour du monde, émouvait des millions de français et d’allemands. L’Europe prenait tout son sens. Ce sens existe-t-il toujours ? Allemands et français devraient à nouveau s’interroger sur celui qu’ils veulent lui donner.

Deux jours plus tard, samedi, le village fêtait les nouveaux conseillers municipaux, ceux des élections de mars, au nombre de 11. La fête, c’est ici de « monter », au domicile même de l’élu, le Mai, un mat d’une dizaine de mètres surmonté d’un drapeau tricolore et d’une pancarte : « honneur à notre élu ».

Et ainsi toute la journée, on va de maison en maison, hisser le Mai, boire un verre, manger quelques fromages et gâteaux, et partager une convivialité plutôt rare. La journée ne suffisant pas à faire le tour du conseil municipal, rendez-vous est pris le 30 mai prochain pour les 7 élus pas encore honorés. Pendant six ans, jusqu’aux prochaines élections, le Mai montrera de loin et à tous qu’ici réside un homme ou une femme désigné par ses concitoyens pour administrer les affaires de la commune.

L’Europe a partiellement financé la trop coûteuse, bien utile mais trop fragile, mairie du village – obsolescence programmée du temps actuel ou ignorance des métiers ?- de l’autre coté du Monument aux Morts, la modeste et belle église romane, témoigne, elle aussi, d’une culture européenne, éternelle dans ses pierres.

8 mai 2014, souvenir et espoir pour une Europe à construire, pas n’importe comment.

 

 

 

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