Octobre à Paris

Le 17 Octobre 1961, alors que les négociations doivent reprendre entre le gouvernement français et le GPRA, organe politique du FLN, la pression armée de celui-ci ne retombe pas. En Algérie, l’armée française tient le terrain, les « katibas » sont l’ombre d’elles- mêmes. En France, le FLN a écarté toute opposition interne, le MLNA de Messali Hadj, l’autre mouvement pour l’indépendance, a vu ses dirigeants impitoyablement éliminés par le parti « frère« . Les musulmans de France, volontairement ou non, doivent payer leur tribut à l’organisation clandestine. Ce trésor alimente l’achat d’armes, la lutte armée et le terrorisme. Du coté européen, les sympathisants de la cause algérienne, issus pour la plupart du parti communiste, « portent les valises« , contenant argent et armes. Les bombes explosent, un peu partout des deux cotés de la Meditérannée.

C’est dans ce contexte, alors qu’un couvre-feu est imposé aux seules populations d’origine maghrébine, par le préfet de police, Maurice Papon, que le FLN lance la grande manifestation du 17 Octobre. Des dizaines de milliers de musulmans sortent des bidonvilles de la banlieue parisienne pour manifester au centre même de la capitale.  Le mot d’ordre de la police est: à aucun prix les manifestants ne doivent pénétrer dans Paris. Les manifestants, notamment aux ponts menant à la capitale, tentent de franchir les barrages. La répression policière est féroce, meurtrière. Plusieurs dizaines de disparus, alors que la préfecture de police parlera pudiquement de six morts, tués par balles ou étouffés, ou encore noyés, retrouvés dans la Seine.

Octobre à Paris, le film présenté ici, est l’oeuvre d’un sympathisant de la cause indépendantiste. Réalisé à chaud, avec la subjectivité de ses acteurs, il ne met pas en perspective les enjeux de la lutte à outrance entre les français et le FLN, et les moyens employés par celui-ci. Sur le territoire métropolitain, le FLN a porté cette guerre qui ne dit pas son nom. Alors que le gouvernement français négocie avec le GPRA, le gouvernement provisoire de la république algérienne, des commandos du FLN ciblent la police, des policiers sont tués, les commissariats sont en état de siège, « bunkérisés ». Les agents des renseignements français, aidés de supplétifs algériens, arrêtent des membres des réseaux FLN. La torture et la violence règnent des deux cotés. Les historiens aujourd’hui sont partagés sur les causes de la manifestation d’Octobre. Pour certains d’entre eux, le FLN voulait provoquer la réaction de la police, que le sang coule, et que cela pousse l’ONU, ou la question de l’Algérie était posée, à condamner la France. Pour d’autres cette manifestation, certes provoquée par les agents du FLN, se voulait pacifique. De même sur les victimes de cette journée, certains les chiffrent à 30 à 40 morts, d’autres retiennent les chiffres avancés par le FLN de 130 à 140 morts. Sur ce plan il reste difficile de connaitre la vérité, et si on reconnait largement les violences du coté français, l’Algérie, elle, n’a jamais fait ce travail de mémoire.

Sur ce jour « noir » d’Octobre 61, il faut voir aussi le webdocumentaire de Raspouteam, visible en tapant sur le lien attaché.

Pour comprendre ainsi ces « oublis »de l’histoire, il faut revenir à d’autres récits, celui autobiographique de Jean-Noël Pancrazi, publié chez Gallimard cette année : La Montagne dit l’égorgement en Algérie d’une dizaine de petits européens, ses camarades de classe et de jeux, par ceux-là même qui travaillaient pour son père. L’horreur est dans ses pages, l’incompréhension aussi. Le père de Jean_Noël Pancrazi est sensible au désir de justice des autochtones. Il sera chassé en 24 heures après l’indépendance par un pouvoir qui veut faire table rase. Il sera heureux de sauver sa peau. De pouvoir rejoindre la France, ayant tout perdu.

Un autre livre, publié lui aussi cette année, nous a ému,  » Lettre à Zora D. » , le récit d’une petite fille de cinq ans, victime le 30 septembre 1956 dans un café d’Alger, le Milk-bar, d’une bombe posée par Zora Drif, membre des commandos FLN de Yacef Saadi. Danielle Michel-Chich aura une jambe arrachée, sa grand-mère tuée sous ses yeux. Ce terrorisme aveugle déclenchera ce qu’on a appelé La bataille d’Alger. Les parachutistes français élimineront eux aussi par tous les moyens, y compris « la question » (la torture), le réseau de Yacef Saadi et Zora Drif. Celle-ci, aujourd’hui sénatrice comblée du pouvoir algérien, ne répondra jamais à cette lettre. Il faut absolument lire cette lettre pour comprendre que le terrorisme est absurde, atroce et ne trouve jamais de justification.

Des centaines de milliers de victimes, civiles et militaires, du coté musulman. Des dizaines de milliers d’européens, soldats et civils, dont dix mille disparus après l’indépendance, plus de 100 000 harkis massacrés, dans des conditions souvent atroces, par les hommes du FLN dans les semaines qui suivirent le cessez-le-feu. Sans que l’Armée française, désormais cantonnée dans les casernes, ne les protège. Quel bilan épouvantable que la France et l’Algérie, cinquante après, trainent toujours. Il est temps d’en tirer la leçon, de mettre la distance de l’Histoire, pour que ses deux peuples dépassent le temps des ranceurs.

Quelques documents et films édités en DVD par Montpanasse peuvent nous aider à mieux comprendre ce drame: La Guerre d’Algérie d’Yves Courrière et Philippe Monnier, La Trahison de Philippe Faucon, Paroles de pieds-noirs de Jean-Pierre Carlon Algérie(s) de Malek Bensmail. Chacun de ses documents montre un éclairage différent, jusqu’à celui de Malek Bensmaïl consacré aux années 90, à cette guerre aux plus de cent mille victimes, que se livrèrent Pouvoir algérien et fondamentalistes musulmans. Est-ce encore la même Histoire ?

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