Regards sur le monde

Je reprends aujourd’hui ce blog après 8 mois d’absence. De ce bureau du 14° où pendant trente ans j’ai piloté les Editions Montparnasse. Je ne suis plus le pilote, remplacé à la barre par Dominique Vignet. Ce fût une décision commune, moi de me retirer, lui de la reprendre. Dominique m’avait demandé de continuer ce blog. Je n’en avais plus envie. Et puis à la fois devant l’amitié de ses demandes, de voir encore Montparnasse continuer, trouver un nouveau souffle, de m’attacher à Carnets Nord, l’ancienne filiale de livres de Montparnasse, de continuer à partager ses locaux, oui cela m’incite vous parler à nouveau. De l’air du temps, des éditions, des rencontres, des joies, des colères parfois, des surprises toujours.

Je commencerai aujourd’hui par des rencontres. Des rencontres qui font du bien.

Le cinéma déclenche une tempête, plutôt un homme du cinéma déclenche une tempête, un ouragan dont les lames de fond ne cessent de grossir. Je veux parler d’Harvey Weinstein, le producteur américain qui harcelait sexuellement les actrices.

Nous connaissons tous son histoire, relayée par tous les médias, par les blogs, tweets, etc…Ce dont j’ai envie de parler,  ce sont des femmes qui m’impressionnent au milieu de cette mêlée, qui prend parfois allure de curée. Difficile d’être un homme dans ces moments, difficile de s’exprimer comme homme. Nous sommes indéfendables, inaudibles. Donc merci à ces femmes, non pas de voler à notre secours, mais en parlant d’elle de nous rappeler que des hommes existent qui ne sont pas seulement des Harvey Weinstein en puissance, ou au petit pied, tout aussi ravageur.

La première est une actrice française, Juliette Binoche, qui dans un entretien avec Franck Nouchi, dans le Monde du mardi 24 octobre ne cesse d’exprimer la justesse, la finesse, la force : « en s’approchant d’un tel pouvoir ( Harvey Weinstein) , il faut savoir ou on met  les pieds et éveiller son intelligence à ne pas se faire piétiner »  et sur l’influence qui soumet : je n’ai jamais mis la parole de mon agent avant la mienne. j’écoute, mais je n’obéis pas. »  Juliette Binoche analyse ses propres sentiments, les renforce, regarde les hommes, leurs faiblesses. Et les femmes. : il existe un autre pouvoir, celui qui est au-delà de sa volonté et de ses propres désirs, mais qui passe par une descente en soi, et c’est cet autre pouvoir qui est passionnant, car il conduit à l’oeuvre et à ce qui s’oeuvre en soi. »

L’actrice française Juliette Binoche n’est pas n’importe qui. Elle regarde, réfléchit, mouline, il en sort la conscience et la présence. C’est son immense force. Elle n’est pas la seule. Nancy Huston, au Salon du Livre de Francfort, dans une remarquable réponse à l’écrivain Patrick Chamoiseau ne dit pas autre chose :  » l’inhumain humain », ou encore: «  nos pulsions archaïques sont toujours présentes ». Combattre ces pulsions, c’est l’objet aussi de la culture, de la civilisation. Dans un autre entretien, cette fois-ci sur Arte, avec l’écrivain Kamel Daoud, Leila Slimani parle de la misère sexuelle au Maroc. Je retiens une phrase : » si on disait aux mères : au lieu d’apprendre à vos filles qu’elles sont une proie, apprenez à vos fils à ne pas être prédateurs, ce serait un grand pas ». Leila Slimani parle de tradition, de transmission y compris par les femmes, pas simplement de pulsions archaïques.

Je finirai par deux femmes, Natacha Polony dans le Figaro de samedi dernier. Dans son Éloge de la virilité – qui condamne tout agression sexuelle, tout viol, tout comportement de pouvoir- elle plaide pour l’homme normal, un homme courtois, prévenant, qui ouvre la porte  de la voiture pour laisser entrer une femme, lui dit qu’elle est belle et ne se transforme pas en agresseur sexuel. Maya Kadra signe une tribune dans Libération de ce jour : Balance ton porc? Non merci! elle renvoie à la violence archaïque qui se fait justice. Cette violence qui s’exprime ,pour elle, dans le courant médiatique et se substitue à l’Etat de droit, qui ramène les femmes qui y participent, à nier la violence qui leur est faite pour être elles-mêmes dans celle de l’agresseur.

Bonne semaine!

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