Ylva Schwenke, 15 ans. Elle a reçu une balle à l’épaule, à l’estomac et aux deux cuisses.

«  Ce jour-là aurait très bien pu être le dernier de ma vie. Le 22 juillet j’ai perdu mon innocence. Je ne fais plus confiance à personne, je n’ai pas peur, mais je suis consciente que tout peut arriver. Maintenant lorsque je suis en voiture, je me dis toujours que la voiture qui roule en face de nous peut nous percuter volontairement. Je porte mes blessures avec dignité, parce que je les ai reçues debout, pour quelque chose en quoi je crois, pour la Norvège »

M le magazine du Monde publie cette semaine un remarquable et émouvant reportage sur des rescapés de la tuerie d’Utoya le 22 juillet 2011 en Norvège. La photographe Andréa Gjestvang nous livre 11 portraits de garçons et de filles de 15 à 24 ans. Eux sont vivants, par chance, par courage aussi, cachés sous une table, accrochés à flanc de falaise, nageant jusqu’ à être recueillis enfin par un bateau – Utoya est une ile ou se passait le rassemblement de la jeunesse  du parti social-démocrate norvégien- parmi les soixante neuf morts, ils ont laissé un ami, une amie parfois très proche. Eux mêmes ont été souvent blessés comme Hanne Hesto Ness, 20 ans, une jolie blonde dont la photo montre la beauté et la jeunesse. Elle a reçu une balle au cou, au bras gauche et au petit doigt. Une vertèbre de son cou a été brisée et on a du l’amputer d’un doigt.

«  A 19 ans j’a dû réapprendre à marcher. J’avais besoin d’aide pour tout. J’aimerais pouvoir dire  qu’après cela ma vie a en quelque sorte atteint une nouvelle dimension ou une signification plus profonde, mais je n’en suis pas sûre. Rien n’est comme cela aurait dû être. Mon corps a radicalement changé. Ma meilleure amie est morte. Beaucoup d’autres amis aussi. Tout ce que je veux, c’est vivre une vie normale, mais c’est difficile alors qu’autour de moi tout a changé. »

Je les regarde aujourd’hui, ayant perdu l’insouciance de la jeunesse d’un pays préservé, riche. Je regarde Hanne, Iselin, Mathias, Kjetil, Catthrin qui tentent non pas d’oublier- pas encore, peut être jamais- mais de vivre avec, de vivre malgré.

Les témoignages accompagnent leurs photos. Je me demande, comment  étaient-ils avant?  N’ont-ils pas tous l’air grave, absent aussi. Une innocence perdue quelque part un 22 juillet il y a un an,  par la folie inexplicable d’un de nos semblables. Un être humain.

Cela rend dérisoire, absurde même, la couverture de ce magazine sur un journaliste célèbre dans le petit monde parisien, et si futile, si vain cet autre article sur une très people école du 6° arrondissement de Paris. Deux reportages bien écrits, excitants notre curiosité, -notre voyeurisme ?- puisque nous pénétrons dans le monde des privilégiés, que nous découvrons les petits travers de l’un, la vanité des autres et vice-versa! Le décalage parait d’autant plus grand.

 

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