la puissance de l’image

Aux Editions Montparnasse, deux sorties de dvd cette semaine sont remarquables et remarquées, la Gifle, the Slap, une mini-série australienne qui montre derrière l’apparence des vies heureuses, l’incroyable complexité de nos sentiments: une gifle, une simple gifle d’un adulte à un enfant dans un pique-nique d’amis comme geste déclencheur d’une réaction en chaîne, une sorte de battement d’ailes du papillon dans l’Atlantique qui crée les conditions d’un ouragan dans le Pacifique. Puissance de l’image, puissance des jeux des acteurs, puissance de la réalisation, de l’écriture. La perfection obtenue nous fait vivre la fiction comme une réalité et introduit dans nos cœurs un trouble : mais cela est-il possible? Cela pourrait-il nous arriver ? Une claque d’un ami à notre enfant pour le punir d’une bêtise entraînerait-elle une telle dévastation de notre environnement ?

L’autre sortie est celle du film-documentaire de Stéphane Mercurio, A l’ombre de la république. L’image finale du film résume parfaitement pour moi ce qu’il a voulu nous dire, son intention. Celle suggérée par le regard du contrôleur des « Lieux de Privation de Liberté » à l’intérieur de la nouvelle prison de Bourg en Bresse. Il est 17 heures 30, l’équipe de jour s’en va, celle de nuit est invisible, les portes des cellules sont fermées, les couloirs sont déserts, des barreaux partout isolent les quartiers, la couleur est vert-glauque, le silence est glacial. L’inhumain est là. Des êtres humains derrière chaque porte fermée. Enfermés. L’émotion est à son comble. L’image nous a amené à n’être qu’émotion. De celle qui personnellement me gagne lorsque j’aperçois une prison. Comment être indifférent à cet enfermement de vies humaines?

Pourquoi suis-je gêné aussi par cette émotion ? L’impression que l’image me guide là où elle veut dans le film de Stéphane Mercurio, que je partage trop bien la dévastation des vies dans La Gifle, que mon libre-arbitre disparaît pour laisser place à l’intention du réalisateur. Dans la fiction, je suis aveuglément l’interprétation – ne jamais se fier aux apparences, le vie est violence, d’abord violence – qu’il nous donne avec tant d’habilité. Dans A l’ombre de la république, je perds une partie de la réalité. Écoutés par leurs visiteurs-contrôleurs, revendiquant sans cesse de meilleures conditions d’existence, les détenus sont devenus des victimes qui n’évoquent jamais les victimes qui les ont amenés là ! L’image créée les limites non seulement du cadre, mais de la réflexion. A un moment seulement en sort-on brièvement, lorsque le surveillant entraperçu rappelle à la caméra qu’il n’a que deux ans de plus que le jeune détenu de 23 ans, et tout à coup d’autres êtres humains, que les détenus et les contrôleurs des « Privations de Lieux de Liberté », envahissent l’image. Hors cadre, et comme malgré lui. Dehors, ils sont aussi dedans, victimes invisibles.

La société de l’image, celle dans laquelle nous baignons de plus en plus, ne nous laisse guère le choix. Elle nous impose sa puissance par l’émotion qu’elle créée. Elle mélange vérité et mensonge. Vérité, ce qu’elle nous montre, mensonge, ce qu’elle nous cache.

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